Dans le prolongement de la programmation de Lycéens au cinéma, les élèves qui le souhaitent participent chaque année à ce concours de critiques de cinéma : deux pages maximum pour résumer un film, donner quelques informations techniques et un avis personnel…
Nos élèves ont reçu de nombreuses récompenses dans ce prix : Victor Kopp, élève au lycée jusqu’en 2018, a remporté la première place trois fois consécutives (2016, 2017, 2018) ! En 2019, Salma Bouddour, en 1ère S, a pris la relève et a également été primée à la première place (10 prix sont remis chaque année).
Voici la critique de Salma Bouddour pour le film « Je suis le peuple » :
« Je suis le peuple, premier long métrage d’Anna Roussillon, nous propulse pour une durée de deux heures dans le quotidien de Farraj, paysan égyptien et de sa famille dans la Vallée du Nil, alors qu’un mouvement contestataire inédit, « Le Printemps arabe » gagne son pays.
De la démission de Moubarak en février 2011 au coup d’état du général Al-Sissi en été 2013, en passant par l’élection de Morsi en 2012, ce documentaire sorti en 2016 retrace les évènements majeurs de la révolution qui a eu lieu en Egypte. Mais c’est avec un nouvel angle que la réalisatrice aborde cette insurrection. En effet, au lieu de braquer sa caméra sur le Caire et sa place Tahrir, théâtre des affrontements les plus colossaux, comme le fait Mohamed Diab dans son film Clash sorti la même année, Anna Roussillon a choisi de s’intéresser aux réactions qu’ont fait jaillir ces bouleversements loin de la capitale.
On suit donc pendant trois ans l’évolution d’hommes et femmes mis en parallèle par leur routine respective au sein d’un petit village à 700 km du Caire, derrière les pyramides de Louxor, qui viennent un à un, du matin au soir, témoigner face à la caméra. Si le protagoniste, Farraj accueille d’abord cette révolution avec indifférence, son intérêt vis-à-vis de celle-ci grandit très vite. Il va voter aux élections, analyse les évènements avec ses voisins, participe aux rassemblements et développe à force de déceptions un regard perspicace sur la politique de son pays et les intérêts géopolitiques qui règnent sur le globe : « Le monde n’est qu’intérêts, c’est tout ! Et tant qu’il y a des intérêts, il n’y a pas de démocratie » affirme-t-il. Anna Roussillon nous prouve ainsi qu’il est possible de méditer sur le monde sans forcément l’avoir étudié.
La réalisatrice met aussi en exergue l’importance de la télévision, véritable fenêtre sur l’extérieur par laquelle s’informent les personnages. En la montrant posée au milieu des autres aliments, elle fait ressortir son rôle symbolique : celui d’une « nourriture » spirituelle qui cultive l’esprit. Une autre séquence qui montre l’installation de la parabole par Farraj esquisse une réflexion intéressante: comment la télévision représente-t-elle les évènements ? D’ailleurs le paysan s’interroge plusieurs fois quant à l’objectivité de certaines chaînes d’information. Cependant, les difficultés imposées par le village ne laissent pas aux personnages l’occasion de rêver et affinent leur regard déjà lucide sur la situation. Cette séquence avec la parabole souligne davantage ces inégalités qui perdurent en Egypte entre la classe paysanne incarnée par l’habitation décrépi de Farraj et les plus égyptiens les plus aisés représentés par les immeubles modernes à l’arrière-plan de la scène.
Anna Roussillon bien qu’absente à l’écran est également un personnage du documentaire. Par les questions qu’elle pose, par ses interactions avec les autres personnages comme la charismatique voisine de Farraj, Bata’a qui ne manque pas de se moquer de cette dernière, elle apporte de la perspective au film en nous faisant osciller entre le Caire, le village de la Jezira et l’étranger.
L’atmosphère tantôt grave tantôt bonne enfant, les plans simples, authentiques, le décor rural aux couleurs brutes et le rythme de plus en plus alerte, nous plonge avec virtuosité dans une Egypte comme elle ne nous a jamais été présentée.
« Le peuple veut le changement du régime ! » s’exclame Farraj à Anna Rousillon. Qui est ce peuple ? Ce peuple dont parle Oum Kalthoum en 1964 dans sa chanson éponyme sur laquelle s’achève le film. Qui est-il ? Voici la question sur laquelle nous fait finalement réfléchir la réalisatrice à travers ce documentaire, suintant de vérité et transpirant de sincérité qui donne la parole à une partie peu audible du peuple. »